Cela fait 30 ans cette année que le génocide des Tutsi au Rwanda a eu lieu. Emmanuelle en est une survivante. Emmanuelle est née à Kabgayi, au Rwanda dans les années 50. Là-bas, son papa travaillait dans l’administration. “Les gens comme lui étaient tués sur le champ, car ils représentaient une menace. Quand les troubles ont commencé, c’était déjà les années 60”. La famille a dû s’exiler une première fois à l’intérieur même du Rwanda pour aller à Nyanza, où ils étaient considéré.e.s comme des refugié.e.s. Puis, ses parents ont été déportés. À 11 ans, elle est victime de ségrégation scolaire en tant que Tutsi, suite à la politique des quotas et est contrainte de quitter sa famille. Pour tenter d’avoir son examen d’État, elle est contrainte de quitter sa famille en changeant de ville à nouveau, pour aller redoubler son année, à Kabgayi.
Le parcours d’exil d’Emmanuelle en dehors du Rwanda débute en 1973. À 20 ans donc, elle fuit définitivement vers le Burundi, laissant derrière elle son pays et ses proches. En 1994, lors du génocide, elle se trouve à Bukavu, en République Démocratique du Congo, près de la frontière rwandaise. Elle décide alors de quitter la région avec ses enfants. Après un passage par l’Europe et les États-Unis, son conjoint les rejoint plus tard, et ils trouvent finalement refuge au Canada. Plus précisément à Montréal, non loin du Jardin Botanique, où elle a été une centaine de fois.
Pour elle, cet endroit symbolise un refuge bienfaisant. “C’est mon premier ancrage aussi car j’ai habité pas loin et que je m’ennuyais des jardins de chez nous, des espaces immenses que je ne pouvais avoir dans notre appartement à Montréal. Ça me fait du bien, ça m'apaise, ça me réconcilie avec tout ce qu’il y a derrière. J’oublie un peu la laideur du monde et des difficultés. C’est la meilleure thérapie”.
Dans l’immensité du Jardin botanique de Montréal, un des endroits favoris d’Emmanuelle est le jardin japonais. “L’art japonais me rappelle l’art rwandais. C’est cette épuration, ces lignes droites. C’est délicat. Quand je venais ici, au début, ça me réconciliait de dire je suis bénie de vivre ce moment. Ici au jardin. D’accord la nostalgie de mon pays. Il faut admirer ce qu’on a au moment où on l’a. J’ai passé beaucoup de temps à comparer. J’apprécie quand je suis ici, c’est tellement beau. Et quand je retourne là-bas, c’est pareil.” Sans doute que le Jardin rappelle aussi à Emmanuelle ses souvenirs d’enfance. C’est son grand-père qui lui a fait aimer la nature.
Après plusieurs missions de bénévolat au bénéfice des aîné.e.s de Montréal en arrivant dans la région, Emmanuelle a repris des études en immigration et en intervention multi-ethnique : "Quand je suis retournée à l’université, je voulais comprendre, qu’est-ce qu’il y a au-delà de ce qu’on vit ? C’est quoi le discours de la société ? Une des choses qui m’avaient frappée, c'est ce que m’avait dit mon professeur à l’Université : "Tu es ce que tu vaux, tu n'es pas ce que tu es." J'ai fini par comprendre que nous sommes évalués en fonction de quotas", témoigne Emmanuelle avec regret.
L'accueil des nouveaux arrivants doit être un pont solide, non seulement matériel, mais aussi un soutien émotionnel. “Au Québec, nous avons tous les mêmes droits, mais souvent nous ne savons pas où commencent nos droits. La communication, et la sensibilisation sont essentielles, ce sont les premières étapes d’un bon accueil, confie Emmanuelle. Il faut avoir une approche holistique qui considère l’être humain dans son ensemble. Ici, on intervient, mais je ne vois pas de prévention, surtout pour ceux qui travaillent dans l'accueil. C'est une société généreuse, il y a beaucoup de gens qui aident. Il faut vulgariser les informations pour les nouveaux arrivants. Cependant, les politiques ne s'améliorent pas quand il n’y a pas de sens, de support ni de suivi. De plus, il est important de savoir reconnaître la contribution inestimable des personnes à la société d’accueil, qui finissent par travailler ici et contribuer de multiples façons comme n’importe quel autre citoyen”.
“Il y a des choses qui m’ont poussé à partir qui n’étaient pas du tout agréables. J’ai dû partir, c’est triste, mais il a fallu faire en sorte que la vie continue, et ce dans les meilleures conditions, notamment pour mes enfants que je souhaitais en sécurité. Malgré le départ, mes racines demeurent au Rwanda. Ici, je suis une bouture qui a pris racine ailleurs. Mes racines sont là-bas, mais j'ai emporté quelques boutures pour créer une nouvelle vie ici.”
Accueillir, c’est ouvrir les bras, tisser ensemble la bienveillance et le réconfort. Trouvons les ressources pour aider les réfugié.e.s, en considérant leurs dimensions physiques, spirituelles, mentales et émotionnelles. C’est ainsi que nous construirons un avenir meilleur pour tous.
Emmanuelle
Nous avons demandé à Emmanuelle de nous partager une chanson qu’elle affectionne particulièrement. Emmanuelle vous propose d’écouter une de ses chansons favorites : « Vestine and Dorcas », d’IRIBA.
Une mention spéciale et un grand merci à Élise Olmedo pour sa contribution.
©2024 Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes
Crédits photo : Maëva Lorent.